Emmanuel de Martonne, un géographe chabriot
Dernière mise à jour : 29 juil.

Louis Eugène Emmanuel de Martonne est né le 1er avril 1873 à Chabris, dans l’Indre. Il est le fils de Louis Georges Alfred de Martonne et de Marie-Louise Caroline Cadaud. « Rien, écrit Jacques Bariéty, ne le prédestinait à s’intéresser à la Roumanie ; c’est la géographie qui devait l’y amener ». Après sa scolarité dans l’Indre, il entre à l’École normale de la rue d’ULM en section littéraire en 1892. Devenu normalien, il suivra les cours à la météorologie, en sciences physiques et naturelles, de topologie, d’histoire et de géographie où il obtient son agrégation en 1895. Martonne soutient deux thèses. La première à la faculté de Lettres de Paris en 1902 sur la Valadie, essai de monographie géographique ; la seconde est une thèse de sciences, 1907, sur la géomorphologie des Alpes de Transylvanie en Roumanie.
Un brillant scientifique Après être allé en Allemagne, De Martonne enseigne à la faculté de Rennes de 1899 à 1905 où il devient professeur adjoint, puis professeur de géographie jusqu’en 1909 à Lyon. À chacun de ses postes universitaires, il créé, en s’inspirant des méthodes allemandes, de différents laboratoires et de divers séminaires. L’année charnière de sa vie se situe précisément en 1909 où il publiera son célèbre Traité de géographie physique, qui devient la bible pour toutes une génération de géographes dans le monde. Il veut tout simplement promouvoir la géographie au rang d’une science à part entière.
Un homme de terrain
Ce jeune normalien agrégé a plusieurs terrains de jeu dans le monde (Afrique, Allemagne, Europe centrale, États-Unis). En effet, il se rend, en expédition scientifique, en Afrique dans la région des lacs du haut Nil pour étudier les problèmes climatique et hydrographique. Néanmoins, ce sujet n’aboutit pas et l’Europe centrale ainsi que la Roumanie devient son sujet primordial. Il devient le plus grand spécialiste français de la géographie de l’Europe centrale. Il occupe des postes clés au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche française. Membre actif du Comité national de géographie dont il devient le secrétaire général entre 1920 et 1952. Emmanuel de Martonne est alors professeur à la Sorbonne. Au plus haut de sa carrière sa posture épistémologique devient le grand patron de la géographie. Son rôle dans la société scientifique est surtout au sein du Comité d’études où il est conseiller de Georges Clémenceau.

Un homme à l’épreuve des guerres
Que ce soit en histoire, comme en géographie, l’Allemagne est un modèle de pensée. La défaite de 1871 humilie les Français qui veulent se venger de la Commune. On assiste aux nationalismes, aux valeurs libérales et aux idéologies de la Troisième république. Malgré cela, Emmanuel de Martonne est issu d’une tradition géographique : celle de l’École française. Il installe des méthodes universitaires complexes utilisées par les scientifiques allemands sous forme de séminaires. Les géographes outre-Rhin acceptent l’importance des travaux de Martonne. En 1871, Jules Simon, ministre de l’Instruction publique lui demande de créer une chaire de géographie à l’université. La Première Guerre mondiale et les différents traités de paix relatent une grande dureté envers l’Allemagne et l’ex-Empire austro-hongrois. C’est pour cela que la morphologie inventée par de Martonne redéfinit les nouvelles frontières de l’Europe centrale. Il se situe politiquement comme étant un anti-germaniste et un anti-bolchevique. La science du climat, que Emmanuel de Martonne a inventé, est mise en avant sur la scène géographique internationale. Et l’expertise géographique et cartographique est au service des différents traités en 1919 et 1920. Son travail colossal au sein du Comité d’études lui permet de rectifier le tracé des frontières. Le géographe réalise le 18 juin 1917 ses Conditions physiques et économiques de la navigation rhénane. Il semble lié à son monde politique et aux intérêts des états vainqueurs, surtout en France, de Martonne, dit lui-même « on doit s’attendre à voir poser la question de l’indépendance de la Macédoine, de la confédération balkanique. […] On peut prévoir une sympathie déguisée par la Bulgarie ».
Les recherches d’une vie La Roumanie s’inscrit dans un héritage politique depuis Napoléon III. C’est ainsi que s’exprime la fusion des régions de la Valachie et de la Moldavie. L’Europe orientale, pays latin, est toujours d’actualité. Les considérations stratégiques et idéologiques sont venues appuyer l’idée d’une Roumanie forte. De ces quelques éléments éparts, Emmanuel de Martonne a élaboré les nouvelles frontières de l’est de l’Europe après la Première Guerre mondiale. La présentation cartographique joue un rôle majeur dans la géographie diplomatique et la géographie militaire en Europe. La carte devient, alors, un outil d’aide à la décision d’un état très puissant. Ainsi, malgré sa valeur objective, l’œuvre scientifique d’Emmanuel de Martonne ne sera jamais isolée du destin tumultueux de la Grande Roumanie.