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Le serviteur de Bernanos

Dernière mise à jour : 5 août 2023

Le 7 juillet lors de la célébration de la mort de Georges Bernanos, l’association le Relais des Pas sages a accueilli Samir Siad qui a donné un spectacle. Compagnons inconnus reprend des textes de l’écrivain. Le comédien révèle dans cette interview exclusive sa relation avec Bernanos et les choix de mise en scène de son spectacle.


Comment avez-vous découvert Georges Bernanos ?

Samir Siad : J’en ai jamais entendu parler à l’école, jamais étudié. Georges Bernanos je ne savais pas qui c’était. J’étais pourtant quelqu’un qui aime bien lire. En fait, c’est pendant mes études de théâtre que j’ai faite à l’école nationale de théâtre à Strasbourg, l’un de mes camarades de promotion qui savait que j’aimais bien lire m’a dit « mais tu connais Bernanos ? ». Il m’a conseillé cet auteur. Et depuis ce temps là il ne m’a plus lâché.


Donc tombé amoureux de Bernanos jusqu’à réaliser un spectacle. Pourquoi cette initiative ?

Samir Siad : Tombé amoureux de Bernanos, c’est vrai que le terme est bien parce que c’est comme une relation qui est une très grande amitié. Bernanos, pour moi, ce n’est pas seulement un immense auteur, c’est un style extraordinaire, un poète, un penseur hors-pair et il établit justement avec le lecteur une relation singulière. On ne rencontre pas toujours cela avec les auteurs. Je crois qu’il dit quelque part « ceux pour qui j’écris sont peu nombreux, ils ne changeront rien à ce monde mais c’est pour eux que je suis né ». Il a une forme de vocation que l’on ressent quand on le lit attentivement. Il va nous chercher personnellement. Il instaure un dialogue. Il n’impose rien du tout mais il arrive avec toute sa force, tout son esprit, toute son émotion, toute son humanité, tout son talent littéraire et il instaure une relation singulière. Et c’est ce que j’ai ressenti avec Bernanos.

Il est devenu pour moi comme un compagnon mais au sens très fort du terme, quelqu’un avec qui on peut partager un pain. Un compagnon parce que mon métier de comédien m’a amené à être très itinérant. Alors qu’avec mes amis que je ne pouvais pas fréquenter parce que je devais les quitter en partant sur les routes, avec Bernanos, l’avantage c’est que je pouvais l’emmener dans mes valises. J’ai d’abord découvert les écrits romanesques et après ce qu’on appelle les écrits de combat qui m’ont beaucoup bouleversé. En lisant tout cela je me suis dit qu’il fallait que je partage ce don et qu’il y avait matière à faire du théâtre de qualité. Il va me hisser, il va m’inspirer, il va m’apporter des choses. J’ai donc partagé cela avec ceux qui m’entourent du Théâtre en partance et notamment mon épouse Valérie Aubert qui est la metteuse en scène. Nous avons partagé cela et c’est comme cela que nous avons bâti un premier spectacle. Puis cela a enchaîné sur d’autres œuvres.


Représentation des souvenirs de guerre de Bernanos

Est-ce que tous vos spectacles sont bâtis sur les écrits de combats de Bernanos ou vous êtes-vous aussi inspiré de ses romans ?

Samir Siad : Nous avons bâtis beaucoup de spectacles autres que ceux de Bernanos. Mais pour ceux-ci, nous avions fait un premier travail d’approche de la Nouvelle histoire de Mouchette. Ici c’était l’œuvre romanesque que nous avons touché mais effectivement les écrits de combat qui sont très vastes nous ont rejoints dans notre démarche théâtrale.

Nous aimons bien bâtir des pièces de répertoire comme Molière, Shakespeare ou autre, mais nous aimons aussi prendre une matière textuelle forte pour réaliser un spectacle. Et Bernanos est très riche à cet égard. Il offre beaucoup de choses parce qu’il apporte une couleur, un style hors-pair et qu’il a une forme d’oralité. Comme il s’adresse aux gens on passe de la confidence au cri le plus véhément. Il y a donc toutes sortes de couleurs chez Bernanos et il y a cette capacité de conviction a allé chercher les choses. Il y a aussi beaucoup d’humour. Donc on a beaucoup lu les écrits de combats.

Il y a aussi eu une rencontre qui a été essentielle pour moi. Celle de Jean-Loup Bernanos avant qu’il décède. Même s’il a vu que j’étais jeune metteur en scène, jeune comédien, il nous a quand-même accompagnés. Un accueil digne de Bernanos. J’étais très surpris parce que parfois quand on rencontre les ayant droits, il y a un fossé entre l’émotion qu’on ressent en lisant et après. Mais là avec Jean-Loup nous avions l’impression de rencontrer vraiment l’esprit Bernanos c’est-à-dire une capacité d’accueil, de générosité, d’attention. Ne pas se laisser éblouir par des vanités. Il ne m’a pas demandé si j’étais un metteur en scène très connu. En même tant quand je l’ai rencontré, il travaillait avec Pialat sur Sous le soleil de Satan justement. Une confiance s’est crée. Et il m’a demandé un jour à l’occasion des 50 ans d’anniversaire de la mort de Bernanos. Il m’a dit « j’aimerais bien que vous bâtissez quelque chose mais il y a une contrainte c’est un lieu qui a une petite scène ». Je suis donc allée du côté des écrits de combat et les conférences qu’il a prononcées dans le cycle de la Liberté pour quoi faire ? L’ultime conférence qu’il prononce c’est en Afrique du Nord et cela s’appelle Nos amis les saints, c’est une méditation sur les saints. De fil en aiguille et selon les demandes aussi, j’ai bâti des choses.


Dans votre spectacle Compagnons inconnus vous avez utilisé plusieurs livres…

Samir Siad : Oui tout à fait. Le mouvement est simple. Il y a une chose qui est très importante chez Bernanos qui est à l’origine. La matrice de tous ses écrits que ce soient romanesques ou ceux que l’on appelle les écrits politiques, de combats, c’est la Grande guerre de 1914-1918. Cette expérience de la guerre, il l’évoque dans beaucoup d’écrits, notamment dans les Grands cimetières sous la lune ou les Enfants humiliés. Nous sommes partis de là. Nous partons de l’expérience de la guerre qui est un peu la matrice aussi du XXème siècle. Tout va un peu jaillir de là comme le totalitarisme. Nous suivons ce mouvement là presque chronologique. Après les lendemains de novembre 18 qui sont terribles et aussi ceux de 1940 qui sont un peu le point d’arrivée de tout cela.

Pour Bernanos le seul recours c’est de se retourner vers les combattants de 14-18 et ses compagnons morts car ils sont vivants pour lui. Il a toujours essayé de rester fidèle à cet esprit de la fraternité obscure des tranchées. Il y a ce mouvement dans ses œuvres et après nous débouchons sans solution de continuité. Nous ne parlons pas de 1918 mais nous parlons de 1945 après la libération. Pour lui c’est comme si c’était un scénario qui recommençait dans le sens de l’effort de la résistance fait par les résistants. Mais en fait, cet esprit de la résistance est trahi très vite par l’arrière. Les affaires reprennent. Et on recommence dans un monde qui va engendrer de nouvelles guerres comme si leur sacrifice n’avait pas servit à grand-chose. Et donc il y a cette pensée sur l’homme à la Seconde Guerre mondiale mais qui annonce ce que nous vivons aujourd’hui. Il s’adresse aux hommes d’Europe, « ce que les dictateurs ont voulu faire en quelques années sera fait en 50 ou 100 ans mais le résultat sera le même ». Les hommes renoncent à leur liberté. Ce que les dictateurs ont fait en force et dans la violence engendre le risque que nos démocraties mettent en place une forme de servitude.


L'époque moderne est folie

Dans la mise en scène de Compagnons inconnus Bernanos a deux voix. Pourquoi ce choix ?

Samir Siad : Ce n’est pas un jeu seulement. Bernanos revendique cette liberté de pensée pour lui-même mais elle est un peu comme une tragédie. Dans la tragédie grecque il y a une femme de chœur qui prend de temps en temps la parole. Il y a cette appartenance à la Première Guerre mondiale avec les tranchées : c’était un effort collectif. Nous avons essayé de démultiplier cette voix parce que Bernanos aussi instaure constamment un dialogue avec le lecteur. Donc il y a les questions qu’ils posent, l’ironie, l’humour et il y a du comique. Il fait parler souvent. C’est un grand dialoguiste. Ce n’est pas seulement dans les romans mais aussi dans les écrits de combat. Pour nous mettre un peu en difficulté en tant que lecteur il nous fait parfois un peu intervenir. Il devance nos questions, ce que nous allons opposer à ce qu’il dit. C’est pour cela qu’il y avait besoin de ces plusieurs voix.


A travers les paroles de Bernanos, vous-même ne laissez-vous pas passe un message notamment sur la notion de liberté qui est traité dans le spectacle Compagnons inconnus ?

Samir Siad : C’est très dangereux d’instrumentalisé Bernanos. Je suis un simple lecteur, j’ai lu des choses qui m’ont touché et je me dis qu’il faut que je les partage. La pire chose qui peut arriver à un auteur c’est de ne pas être lu, de ne pas être entendu. Un auteur comme lui est entouré de beaucoup de préjugés. Là où il y a une paresse intellectuelle qui fait qu’on a une certaine idée de l’auteur, on ne le lit pas du coup. Et bien je me suis dit par mon métier d’homme du théâtre j’avais possibilité, je n’aime pas ce mot mais d’être un passeur. Je n’ai rien de beaucoup mieux à dire que lui. C’est plus lui qui me stimule. Ce que je ressens dans ses écrits peut nous parler aujourd’hui. Il n’y a quasiment rien à exclure. Si je m’écoutais je monterai toutes les œuvres. Je trouve qu’elles n’ont absolument pas vieillies au contraire elles prennent sens aujourd’hui. J’essaye d’être autant que possible le serviteur de cette parole.

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